Des mots pour parler des maux. Pour tenter d’exprimer le ressenti de la découverte de la maladie, puis de sa difficile acceptation, et enfin de la vision impuissante de la transformation de son corps. Vient enfin la volonté de croire que la vie se mérite et qu’il faut se mobiliser avec son entourage. Les misères s’effacent devant la certitude qu’il y aura un futur ! Je parle naturellement de mon cancer de la prostate et de son cortège de métastases osseuses. Ce texte sera une forme de thérapie.
Eté 2022
Je suis cancéreux, c’est une déclaration.
Qui ne devrait concerner que moi,
Mais c’est faux.
Ce cancer je le partage avec ma moitié,
Qui est bien plus que ma moitié,
Qui a la force et la volonté.
La sentence est tombée un jour d’été.
Peut-on imaginer que ce soit possible ?
C’est juste bon pour les autres, non ?
Palpations, biopsie de la prostate.
Alors, comment réagit mon esprit ?
Rien, il ne sent rien, il n’envisage rien.
Puis vient le verdict.
Cancer de la prostate avec métastases dans les os.
Il s’est installé sournoisement,
Depuis combien de temps ?
La prostate se traite très bien,
Mais les métastases ce n’est pas bien.
Stade IV, on ne fait pas beaucoup mieux.
Hormonothérapie qui commence.
Fréquentation assidue des oncologues.
Séances efficaces de radiothérapie.
Les métastases sont apaisées.
Vient le temps de la chimiothérapie,
Très mal vécue,
Abandonnée rapidement.
Mon corps n’aime pas,
Je suis fatigué, fatigué, fatigué.
Nauséeux, plus de goût,
Je ne peux rien avaler.
Perte très rapide de poids.
Les analyses sont mauvaises,
Je ne suis pas bien.
Traitement par hormonothérapie,
Grosses pilules quotidiennes,
Avec de la cortisone,
Joues de hamster garanties.
La prostate se traite bien,
C’est vrai pour le moment.
Les métastases resteront avec moi,
Pour quelle cohabitation ?
L’espérance de vie est de trois ans.
Nous pensons que c’est très insuffisant,
Nous avons des projets.
Celui de continuer à vivre ensemble.
Les effets de la chimio s’estompent lentement.
Bobos divers, sensation de marcher sur l’eau.
Le corps se voûte.
Oedèmes à répétition.
Douleurs au pied gauche qui se traite.
Hypertension récalcitrante surveillée.
Patchs et emplâtres morphine,
Antalgiques indispensables.
Des ongles se décollent et tombent,
Ils repousseront un jour.
Le système nerveux est stressé.
Quoi d’autre ?
Ce corps qui n’est plus le même.
De la lassitude parfois,
Des sautes d’humeur aussi.
Le quotidien n’est pas très sexy.
C’est quoi ce nouveau quotidien ?
Une petite musique qui dit :
C’est toujours la vie !
J’intègre ce nouveau mode de vie.
Se battre contre la maladie,
Je dois d’abord vivre avec,
Contraindre mon nouveau corps.
Rester actif intellectuellement, socialement.
Comment vas-tu ?
Tu as l’air bien aujourd’hui, bon courage !
Le regard des autres,
La sollicitude obligée des connaissances.
A ranger dans les effets secondaires …
Et mon propre regard ?
J’ai découvert ce nouveau corps.
J’ai appris à le connaître,
J’ai appris à l’accepter.
Il n’est pas beau, enveloppe vidée et fripée.
De nouveau la question :
Espérance de vie, combien ?
Avec l’âge et la maladie ?
Chaque jour est un jour gagné.
Demain sera une belle journée.
Je philosophe en public.
Garder du dynamisme,
De l’intérêt pour la vie sociale.
La vérité est bien différente.
Je veux être réaliste,
Ne pas faire l’autruche,
Relativiser toute chose.
Les priorités ne sont plus les mêmes,
Il y avait un avant,
Il y a un maintenant.
Vieillir sans problème est déjà bien.
Ni rhumatismes, ni arthrose,
Quelques affections anodines …
Alors, j’accepte ce petit cancer.
L’évolution paraît favorable.
Les misères de la chimio s’estompent.
Certains ongles sont à refaire.
Il reste une démarche instable,
Les jambes ne sont pas fiables.
L’hormonothérapie est bien supportée.
Pour combien de temps ?
Personne ne le sait.
Chaque amélioration est une victoire.
Un espoir raisonnable de vie,
Une vie qui en vaut la peine.
Septembre 2025
Hormonothérapie, ce fut ma vie.
Maintenant je suis dans l’après.
Nouveau traitement en médecine nucléaire.
Fatigue générale permanente,
Equilibre souvent instable,
Système nerveux secoué,
Je ne veux plus être malade,
Et laisser du temps au temps.
Mais je suis impatient,
De vivre avec ce nouveau Moi.
C’était comment avant ?
Je suis dans une autre vie.
J’ai perdu les muscles, j’ai gagné du gras.
J’ai créé un nouveau monde,
Où je dois maintenant vivre.
Ce futur que je m’octroie n’est possible qu’avec ma moitié.
Plus qu’une vie partagée, nous vivons une vie unique.
Et je pense à la solitude des personnes seules,
Chez qui la maladie est la seule compagne.
J’ai des activités sociales, quelques activités physiques,
Très progressivement, c’est encore bien difficile.
Je dois me raisonner, car espérer une rémission doit se mériter !
Une alerte parfois, quand une douleur apparaît.
Métastases nouvelles ?
Ces alertes seront mes compagnes, je dois l’accepter.
C’est le prix à payer pour durer.
Les traitements existent, nous sommes en France, bien équipés et bien soignés.
Voici septembre 2025, déjà trois ans !
Système nerveux perturbé, séquelles de la chimio probablement définitives.
Comment vas-tu ?
Les amis, les collègues posent la question moins souvent.
Ne pas lasser les autres, je ne suis pas le nombril du monde.
Justement, il est temps de réintégrer ce monde,
Et reprendre une vie presque normale.